No et moi – Delphine de Vigan
Lou est une adolescente un peu différente des autres: à treize ans, elle est surdouée, et a déjà sauté deux classes. Alors elle est un peu asociale, car elle a du mal à s’identifier à ces lycéens qui ont des préoccupations différentes des siennes, et qui surtout paraissent tellement bien dans leur peau. Un jour, elle doit choisir le sujet d’un exposé, et sur un coup de tête elle répond qu’elle fera le portrait d’une jeune femme de la rue.
No vit dans la rue. Elle est jeune, on a du mal à lui donner un âge. Et puis son chemin croise celui de Lou. Et leurs destins à toutes les deux vont changer.
C’est un roman qui m’a bouleversée. On s’attache tout de suite à Lou, un peu à côté de la plaque avec ce corps qui ne veut pas grandir aussi vite que s’entrechoquent les pensées dans sa tête. Lou et ses interrogations, ses drôles d’expériences, sa relation avec ses parents, avec sa mère en particulier qui a sombré dans une dépression après un drame survenu quelques années plus tôt. Et puis No, que l’on découvre peu à peu, dont la carapace se fissure de temps en temps et laisse voir une petite fille qui n’a pas eu la chance d’être aimée et qui a grandi trop vite. Il y a aussi Lucas, le garçon rebelle de la classe de Lou, dont elle est secrètement amoureuse.
Une très belle histoire.
Extraits :
"Depuis toute la vie je me suis toujours sentie en dehors, où que je sois, en dehors de l’image, de la conversation, en décalage, comme si j’étais seule à entendre des bruis ou des paroles que les autres ne perçoivent pas, et sourde aux mots qu’ils semblent entendre, comme si j’étais hors du cadre, de l’autre côté d’une vitre immense et invisible.
Pourtant hier j’étais là, avec elle, on aurait pu j’en suis sûre dessiner un cercle autour de nous, un cercle dont je n’étais pas exclue, un cercle qui nous enveloppait, et qui, pour quelques minutes, nous protégeait du monde.
Je ne pouvais pas rester, mon père m’attendait, je ne savais pas comment lui dire au revoir, s’il fallait dire madame ou mademoiselle, ou si je devais l’appeler No puisque je connaissais son prénom. J’ai résolu le problème en lançant un au revoir tout court, je me suis dit qu’elle n’était pas du genre à se formaliser sur la bonne éducation et tous ces trucs de la vie en société qu’on doit respecter. Je me suis retournée pour lui faire un petit signe de la main, elle est restée là, à me regarder partir, ça m’a fait de la peine parce qu’il suffisait de voir son regard, comme il était vide, pour savoir qu’elle n’avait pas de maison, pas d’ordinateur, et peut-être nulle part où aller.
Le soir au dîner j’ai demandé à ma mère comment de très jeunes filles pouvaient être dans la rue, elle a soupiré et m’a répondu que la vie était ainsi: injuste. Pour une fois je me suis contentée de ça, alors que les premières réponses sont souvent des esquives, il y a longtemps que je le sais.
J’ai revu la pâleur de son teint, ses yeux agrandis par la maigreur, la couleur de ses cheveux, son écharpe rose, sous l’empilement de ses trois blousons j’ai imaginé un secret, un secret planté dans son cœur comme une épine, un secret qu’elle n’avait jamais dit à personne. J’ai eu envie d’être près d’elle. Avec elle. Dans mon lit j’ai regretté de ne pas lui avoir demandé son âge, ça me tracassait. Elle avait l’air si jeune.
En même temps il m’avait semblé qu’elle connaissait vraiment la vie, ou plutôt qu’elle connaissait de la vie quelque chose qui faisait peur."
"Certains secrets sont comme des fossiles et la pierre est devenue trop lourde pour la retourner. Voilà tout."
NB : Ce roman a été nommé « Révélation de l’année » en 2007 par le magazine Lire, il a obtenu le Prix des Libraires en 2008.
No et moi / Delphine de Vigan.
JC Lattès, Collection Livre de Poche, 248 pages, 2007.
ISBN : 978-2-253-12480-1